Année 2-2

Publié le par Cancer de la vessie

Arrivée mercredi 17 février 2010 à l'hôpital Foch à Suresnes avec ma valise et mes inquiétudes.  La sortie de la gare est pile en face de l'entrée de l'hôpital… Sans doute la prévoyance ou l'esprit pratique des militaires qui devaient faire face à l'afflux des blessés de 14/18 ?

Admission assez rapide, en dépit de la méfiance de la préposée devant la prise en charge par la CPS, organisme de "sécurité sociale" spécifique à la Polynésie,  bien entendu totalement inconnu ici. Une grosse bouffie derrière son guichet ne comprend rien à ce que je lui répète inlassablement. Non Madame, la CPS n'est pas une mutuelle! La suspicion de truandage plane un instant, mais heureusement je retrouve les coordonnées de l'antenne CPS à Paris. Coup de téléphone de la bouffie ("Vous êtes une mutuelle?"), et une minute plus tard tout s'arrange enfin…

Chambre 646: toute petite et glaciale. Elle le restera d'ailleurs jusqu'au bout car le réglage du prétendu thermostat est impossible. Le seul choix est de crever de chaud, ou de crever de froid. J'opte pour le froid. C'est tonique!
A peine ai-je déballé mes affaires que le Professeur LeBret, qui doit m'opérer, vient me rendre visite. Jovial, simple, clair et droit. Le bonhomme me plaît bien. Apparemment il voue à mon urologue de Papeete, une estime professionnelle certaine. Il m'explique qu'il ne sera peut-être pas possible de me faire une vessie artificielle. Il jugera le moment venu, en fonction des résultats des divers examens qui auront lieu une fois le bide ouvert et débarrassé de la vessie et prostate… Il est possible qu'à la place on m'installe une évacuation directe vers une "poche" (le terme sonne affreusement : il contient en lui-même un bruit de matière flasque et putride) plaquée à même la peau, au niveau de l'abdomen. Je m'ouvre très franchement de mes craintes de sortir impuissant de cette opération. Il me promet de faire extrêmement attention tout en me disant que c'est d'abord le traitement du cancer qui prédominera.
Me voilà bien informé! Dans les domaines du possible je peux me réveiller totalement infirme, à tout point de vue. Dans ce contexte, simplement handicapé suffirait à mon bonheur!

Le lendemain se traîne un peu en longueur. Pas grand-chose à faire en vue de l'intervention. Une visite toutefois chez une cardiologue de l'hôpital pour investigations. Il en ressort que je suis à peu près normal de ce côté, et que rien ne s'oppose à l'opération. Un anesthésiste passe également me voir.

Le 19, aux aurores, après une dernière douche  préparatoire, je suis drivé à 7h30 jusqu'au bloc. Des voix tout autour, des glissements de chaussons au sol, des frôlements de blouses vertes, bleues. Cent fois je dois décliner mon identité, cent fois je dois assurer que je sais ce qu'on va me faire et que je suis là parce que je l'ai choisi…  Enfin on me demande de quitter mon brancard pour m'allonger sur le billard. Les bras en croix reposent sur des gouttières, on m'explique que je vais être endormi. Me restent quelques secondes pour retrouver mes angoisses, et me livrer à mon destin.  Et je plonge.
Qui serai-je à la sortie du trou noir?...

Un vrai trou noir… Au bout d'un temps qu'il m'est impossible de préciser, j'émerge par instants fugaces où je reprends conscience, avant de replonger dans un sommeil profond. Là encore je sens des présences, des formes en blouses vertes qui manipulent des tuyaux, au dessus de ma tête, contre mes flancs. L'une des formes me voyant rouvrir les yeux me demande comment je me sens, si j'ai mal, me demande si je peux lui dire mon nom… Je réponds aussi distinctement que possible, mais j'ai du mal à organiser mes mots. Mon nom, oui je m'en souviens, mal? Assez oui, mais ce n'est pas insupportable, 5 sur l'échelle qu'on me propose pour quantifier cette douleur…
Un peu plus tard, une voix masculine me tire du coaltar. C'est le professeur Le Bret, qui vient me faire un compte rendu rapide. Tout s'est passé de la meilleure façon qui soit: les ganglions ne sont pas atteints, la neo-vessie est en place, les nerfs érectiles, bien distincts, ont vraisemblablement été préservés. Il me verra à son retour de vacances, huit jours plus tard! Ses mots me font du bien, ils sont lourds de sens, ce sont des mots d'une vie à nouveau possible.
Dès qu'il me laisse je me lâche et pleure.
Oui je vais me battre et remonter cette pente, oui je vais souffrir pour cela, oui je rebondirai. Une fois encore.
Instinctivement je porte les mains à mes flancs, pour vérifier que nulle poche ne s'y trouve plaquée. Non, c'est vrai, il n'y a rien qui ressemble à cela. Des tuyaux en revanche, oui, il y en a, partout, dans tous les sens…
Dans les heures qui suivent mes plages de lucidité se font plus fréquentes, s'imposent davantage aussi. Je comprends que je suis dans une salle de réveil. J'aperçois un peu partout d'autres lits, d'autres formes humaines, toutes rabougries. J'entends des soupirs, des gémissements, des plaintes. J'entends les mots des infirmières: Vous avez mal? Ne vous remuez pas autant! C'est normal que vous ayez mal! Vous avez des nausées? Comment vous appelez-vous? Encore et encore. Quand elles arrivent à moi, elles me recommandent  de ne pas hésiter à utiliser la pompe à morphine qu'on m'a installée dans la perfusion.

                                                                                           (à suivre)

 

 

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